Entre digue et dictature

Qui paie le prix du tourisme à Alexandrie ?

Entre digue et dictature

L'année dernière, en Europe, le débat sur l’impact du « surtourisme » a éclaté à tout bout de champ : des règles plus strictes concernant l'alcool, en passant par les restrictions sur Airbnb, jusqu'à une taxe pour les touristes de croisière. Chacune de ces mesures illustre les décisions prises sous la pression des populations locales. À Alexandrie, en Égypte, cependant, la relation triangulaire entre la politique gouvernementale, le tourisme et la population locale est inversée. Le défi ? Une politique qui marginalise de plus en plus les habitants au profit des investisseurs et des touristes.

Le visage de cette ville côtière méditerranéenne a subi une métamorphose au cours des trois dernières décennies. La corniche d'Alexandrie – l'emblématique boulevard longeant la mer – est devenue, d'une part, une artère chaotique encombrée de voitures klaxonnantes en continu, et d'autre part, l'accès à la mer y est largement bloqué par une prolifération de complexes hôteliers, de restaurants et de cafés.

Une population croissante et le changement climatique

En ce qui concerne la circulation intense à Alexandrie, le président égyptien Abdel Fatah al-Sissi, connu sous le nom de général Sissi, a pris des mesures drastiques pour fluidifier le trafic en construisant des autoroutes et des ponts. Ces infrastructures étaient nécessaires en raison de la croissance rapide de la population, qui dépasse désormais six millions d’habitants. Pour loger ces habitants, de nombreux immeubles ont été construits, notamment en bord de mer, formant des ensembles serrés qui bloquent l’air frais marin, rendant le centre-ville de plus en plus étouffant.

De l’autre côté de la corniche, le littoral est dominé par de grandes digues de blocs de pierre. Celles-ci sont également essentielles pour protéger la ville contre la montée du niveau de la mer due au changement climatique. Cependant, ces aménagements réduisent encore davantage les espaces accessibles à la population alexandrine pour profiter de la mer.

Une priorité au tourisme

De plus, la politique d’Al-Sissi aggrave cette tragédie en louant les parties restantes de la digue à des projets immobiliers de grande envergure tels que des complexes hôteliers, des cafés et des restaurants – des lieux où la majorité des habitants ne peuvent même pas s’offrir une tasse de café.

Ces complexes accueillent principalement des Cairotes aisés, en quête d’un répit loin du chaos de la capitale égyptienne, pour profiter d’un bol d’air marin. Ironiquement, ces visiteurs apportent avec eux non seulement leur besoin de calme, mais aussi les problèmes du Caire : surpopulation, pollution et creusement des inégalités, qui se font désormais sentir également à Alexandrie.

Les touristes sont donc privilégiés, tandis que la population locale est repoussée. Comme le souligne un pêcheur d’Alexandrie dans le documentaire de la VRT « Les Nomades » : « Le gouvernement prend mieux soin des touristes que de sa propre population. » Car l'accès à la mer n'est pas seulement essentiel pour les loisirs, mais aussi pour la pêche, une activité vitale pour le commerce local.

Sous la coupe du régime

Là où les espaces publics destinés aux habitants étaient autrefois la norme, c'est désormais la logique de maximisation des profits pour le gouvernement et les grands investisseurs qui domine. Et cela, sans même évoquer l’impact esthétique sur la ville.

Les Alexandrins ordinaires sont profondément mécontents de ces évolutions. Mais les critiques publiques sont réprimées par la politique autoritaire d’Al-Sissi. Ainsi, la relation triangulaire entre les habitants, la politique gouvernementale et le tourisme s'effondre.

La véritable question n’est donc pas de savoir si Alexandrie peut continuer à attirer des touristes, mais à quel prix cela se fait. Dans le climat actuel, la réponse semble claire : ce sont principalement les habitants qui en paient le coût. Et comme ces derniers n’ont pas voix au chapitre, il est peu probable que cette situation change.

Photo : Défense côtière contemporaine à proximité de la citadelle du XVe siècle de Qaitbay, à Alexandrie.

Auteur : Cesar Van den Bergh

13-12-24 - par Travel360°